CHÂTEAUGIRON – Ille et Vilaine 35
Historique du site
Les monuments anciens, ces » vieilles pierres » que nous voulons témoins des siècles passés, sont en même temps un obstacle à la connaissance d’un autrefois plus vaste, qui tend à disparaître derrière les vestiges qui nous arrêtent aujourd’hui. Ainsi le château qui se dresse sur le bord de l’Yaigne à Châteaugiron est muet sur les siècles de vie qui l’ont précédé et s’il nous impose aujourd’hui un peu du respect que l’on a pour le grand âge, il peut nous faire oublier qu’il n’est finalement qu’à mi-chemin entre notre époque et celle de la naissance d’une vocation militaire qu’il symbolise aujourd’hui.
La chronique historique nous dit qu’au XIe siècle le nom de Châteaugiron (ou Chatel Gironis) entre dans l’histoire du Duché de Bretagne, mais il est probable que l’occupation militaire du site est plus ancienne. Certains archéologues affirment en effet, que dès le VIe siècle, les Comtes de Rennes firent aménager un site fortifié dont quelques vestiges furent mis à jour, au hasard des travaux de voirie, dans la rue du Porche (il s’agissait des restes d’une enceinte). Nous retrouvons trace d’une autre construction vers la fin du Xe siècle, dans les soubassements d’une tour transformée par la suite en colombier et située dans l’angle nord-est des jardins (elle a aujourd’hui totalement disparue).
Mais, tous ces éléments sont aujourd’hui invérifiables et si l’on s’en tient uniquement aux preuves écrites, c’est seulement au XIe siècle que l’occupation du site est certifiée. Il est en effet question à cette époque du » Castro Ansquetilli « , le château d’Ansquetil et plus tard du Castro Gironis, filio Ansquetilli « , le château de Giron, fils d’Ansquetil – On sait d’autre part qu’Ansquetil meurt en 1039 et laisse ses titres à son fils Giron qui fonde par ailleurs le prieuré Sainte-Croix (en 1060).
Châteaugiron dans l’histoire
Le château entre alors dans l’histoire du Duché et sera le témoin des guerres ou plus simplement des escarmouches livrées par les comtes de Rennes et plus tard par les ducs de Bretagne. Deux épisodes plus importants méritent d’être signalés : en 1058, le château est pris par Foulques d’Anjou, mais reconquis aussitôt par le duc Conan. Le 24 juin, les troupes du duc de Mercoeur entrent dans la forteresse et illustrent leur victoire d’un épisode sanglant : le commandant et toute la garnison sont pendus à un chêne de la contre-escarpe.
Nous conservons d’ailleurs de cette période mouvementée le témoignage de messire Duval, qui a laissé un » mémoire de ce qui s’est fait en la pauvre ville de Châteaugiron dès le commencement de cette guerre civile « . Ce maître d’école nous décrit les » rencontres, alarmes, brûlements, ruines de maisons, dépopulation d’arbres » qui furent le fait des deux camps. Car, si » Monseigneur de Mercoeur » eut le dernier mot, à Châteaugiron du moins, ses ennemis ne s’en laissèrent pas conter en fait de pillages et de destructions.
La famille de Châteaugiron est intimement liée à la vie politique du duché de Bretagne : à la bataille de la Roche Derrien (mai 1347) un de ses fils figure au nombre des morts. En 1364, Patrice de Châteaugiron se bat aux côtés du duc lors de la bataille d’Auray qui voit la victoire de Jean de Montfort sur Charles de Blois. La signature de son fils, Hervé, figure sur un traité passé entre le duc Jean V (1399 – 1442) et Charles VI, roi de France. Les barons de Châteaugiron ont d’autre part le privilège de porter le trône de l’évêque, nouvellement intronisé, à travers les rues de Rennes. Leur devise d’armes » Pensez-y ce que vous voudrez » montre bien cet esprit d’indépendance qui les pousse à isoler leur demeure au milieu d’une ceinture de pierre telle qu’aucun siège, ni aucun combat n’en viendra ébranler les assises.
L’importance politique de la baronnie de Châteaugiron est donc certaine, mais son rôle militaire peut paraître aujourd’hui modeste à côté d’ensemble tels que Vitré ou Fougères. Pour bien comprendre la raison d’être du château il faut imaginer, où s’élève aujourd’hui un ensemble de constructions hétérogènes, une véritable forteresse constituant pour une armée un refuge sûr et la possibilité de soutenir des sièges très importants. Un certain Robidou, qui s’intéressa autrefois au château affirme que » les contours du côté de la ville sont généralement des habitations construites avec les débris de la forteresse. »
Plus encore, il faut inclure la place forte de Châteaugiron dans tout un système défensif comprenant Fougères, Saint-Aubin du Cormier, Vitré, le Grand Fougeray et les villes fortes de Rennes et de la Guerche de Bretagne. Dans son conflit perpétuel avec le roi de France, le duc de Bretagne a toujours voulu retrancher son pays derrière une barrière de châteaux-forts. Ainsi à Châteaugiron, les périodes de construction correspondent à une recrudescence du danger d’annexion par le roi de France : Au XIVe siècle, autour de la guerre de Succession, sous les règnes de Jean V et de François II, ce dernier tentant désespérément de reconstituer le royaume breton. L’invasion de la Bretagne par les troupes françaises et le traité d’annexion de 1532 ôtent au château son rôle de barrière, il restera le siège d’une baronnie puissante à son échelon mais sans aucune importance militaire.
Un ensemble architectural hétérogène
Une vision lointaine du château donne au visiteur l’impression d’aborder un site typiquement médiéval : les grosses tours à mâchicoulis et l’aspect trapu de l’ensemble cachent en effet une architecture plus complexe qui s’est profondément modifiée au cours des âges. Tout ceci apparaîtra plus nettement si l’on aborde l’édifice par son entrée principale. On traverse alors ce qui fut la première cour (appelée aussi cours de Vendée) et plus tard les jardins. Nous laissons sur la gauche les écuries modernes et le pont de pierre qui franchit les douves nous amène dans la cour d’armes. Le visiteur découvre alors les différents éléments du château : à sa gauche, la tour de l’horloge et la chapelle, devant lui le corps de logis accoté, sur son autre face, à la tour de guet. A droite l’aile du corps de logis, la tour du Cardinal et le donjon.
La chapelle
De tout cet ensemble, la partie du château qui passe pour la plus ancienne est la chapelle. Mentionnée dans les textes dès 1184, c’est un édifice rudimentaire composé d’une nef unique et d’une abside romane. La construction en petit appareil, les fenêtres très étroites et les contreforts plats montant sans ressauts jusqu’à la corniche sont typiques du XIIe siècle. Transformée au XVIIIe siècle en église paroissiale et devenue aujourd’hui salle de spectacle, ce petit édifice très dépouillé dont l’intérêt architectural est moindre, témoignage par son austérité du peu d’importance que l’on accorde alors à tout ce qui n’a pas d’utilité militaire immédiate. Plus encore, la chapelle peut être considérée comme un élément de la fortification : la façade sud, pratiquement aveugle, en fait une sorte d’écran entre la ville et la cour du château.
Le donjon et la tour de l’horloge
Passée la première cour, l’assaillant éventuel se heurte à une première ligne de défense constituée par deux grosses tours isolées de chaque côté du pont : le donjon et la tour de l’horloge. Formidable construction haute de 38 mètres et large de 15 mètres au niveau de la cour, le donjon témoigne à lui seul de l’importance militaire du site. Totalement isolé du reste du château, il a été conçu comme un dernier réduit donnant même à ses occupants la possibilité de se défendre contre une attaque venant des autres parties de la forteresse. Pratiquement imprenable sur ses faces extérieures, le donjon est protégé sur le coté cour par la herse et l’assommoir de l’entrée, par les mâchicoulis du hourd et l’ensemble des petites fenêtres (les grandes baies vitrées ont été percées tardivement).
La tour de l’horloge au contraire est un élément à part entière de la forteresse et son utilité ne se conçoit qu’en fonction des autres parties de la fortification. Moins élevée que le donjon, elle a cependant les mêmes caractéristiques : grand appareil, rangée de meurtrières biaises correspondant à un escalier à vis aménagé dans l’épaisseur du mur, ouvertures rectangulaires surmontées d’un arc de décharge. La partie supérieure a été refaite au XVIIIe siècle pour servir de clocher à la chapelle et il faut imaginer une disposition primitive semblable à celle du donjon (avec existence de hourds). L’intérieur offre une disposition typique : grandes pièces circulaires avec cheminées, bancs de pierre ménagés dans l’embrasement des fenêtres, latrines percées dans l’épaisseur du mur.
Tous les éléments architecturaux du donjon et de la tour de l’horloge (grand appareil, absence de chemin de ronde en pierre, herse, assommoir, archères biaises) désignent le XIVe siècle comme date probable de construction et placent ainsi Châteaugiron au cœur des grands courants architecturaux de la Bretagne médiévale. La guerre de succession entre Jean de Montfort et Charles de Blois provoque en effet un renouveau général de la construction militaire bretonne. Châteaugiron est une place forte qui retient l’attention des deux concurrents et la proximité de Rennes lui donne une importance accrue. Les alentours de la capitale sont en effet le théâtre d’un certain nombre de combats dont les sièges de Rennes en 1342 par le parti de Blois et en 1356 par le duc de Lancastre soutenant les Montfort.
La tour du Cardinal et la tour de guet
Dans l’état où nous le voyons aujourd’hui, le château est également défendu sur sa face nord par la tour dite du Cardinal. Moins haute que le donjon, cette troisième tour a aussi un aspect totalement différent : son fut, rigoureusement droit , se termine par un chemin de ronde en pierre sur des mâchicoulis à trois ressauts. Elle est flanquée à l’ouest d’une tourelle d’escalier polygonale qui était jusqu’à une date récente recouverte d’une toiture en pierre – l’intérieur n’offre rien de particulier. La disposition intérieure n’appelle aucune remarque particulière : l’escalier à vis débouche sur de petites salles circulaires sans grand confort.
Une quatrième tour, située sur la face ouest du château et communément appelée tour du guet, dominait autrefois la basse cour transformée aujourd’hui en jardin. Cette dernière tour qui présente dans son plan une forme très accentuée de fer à cheval, est peu différente de la tour du Cardinal et possède également ce chemin de ronde à créneaux sur mâchicoulis à triple ressauts. A l’intérieur, une petite salle basse, restaurée récemment et pourvue d’une belle cheminée, illustre bien la rudesse de ces constructions qui n’excluent pas cependant une certaine coquetterie.
De par leurs proportions, les tours sont dans une telle forteresse les éléments qui retiennent d’abord notre attention, mais il existe par ailleurs d’autres vestiges de la construction médiévale qui nous aideront à imaginer ce que fut le château des barons de Châteaugiron. Partant vers l’ouest de la tour du Cardinal, une muraille couronnée aujourd’hui d’une terrasse, marque l’emplacement de la courtine qui reliait autrefois les divers éléments de défenses. Au nord de la tour de guet, un mur en gros moellons intercalés de plaques de schiste, complète la ceinture de muraille qui isole le logis du Seigneur.
Ces deux tours, tour du Cardinal et tour de guet, ainsi que ces restes de courtine dénotent l’architecture militaire du XVe siècle, les mâchicoulis à triple ressauts sont à cet égard un trait dominant mais le chemin de ronde en pierre muni de créneaux peut également nous aider dans notre reconstitution. Historiquement, cette deuxième campagne de construction correspond comme la première à un renouveau de l’architecture militaire bretonne. Les ducs Jean V (1399-1442) et François II (1458-1488) obligent les seigneurs à entretenir les lieux fortifiés, espérant ainsi résister plus longtemps aux volontés du roi de France.
Parallèlement en France, on oublie les châteaux fortifiés : les progrès de l’artillerie changent en effet totalement le visage de la guerre, l’époque semble révolue où le château-fort servait à fixer une armée et au XVe siècle, une guerre de mouvement se substitue à ces combats sans fin dont l’issue est aléatoire. Cette politique de Jean V et de François II sera d’ailleurs inutile puisque toutes les fortifications remises en état n’empêcheront pas l’annexion de la Bretagne : on se défend contre un agresseur venu du dehors, alors qu’au sein même du duché une partie de la classe noble lutte pour que » Dieu veuille unir Bretagne et France « .
Les reconstructions
La situation politique nouvelle issue du traité de 1532, va ôter au château de Châteaugiron son rôle de défenseur de frontières. Si les guerres de la ligue, et l’épisode de Mercoeur amènent à nouveau la guerre sur les bords de l’Yaigne, les murs du château n’auront plus après cela à subir l’assaut des armées. Les barons de Châteaugiron continueront cependant à vivre derrière leurs murailles et au XVIIIe siècle, ils reconstruisent dans le goût du jour les bâtiments qu’ils occupent. La cour d’armes se heurte désormais à un grand bâtiment classique dont les lignes simples s’intègrent aisément à l’austérité de la forteresse. L’intérieur de ce corps de logis n’a malheureusement plus l’éclat qu’il dut avoir à l’origine : des occupations modernes inadaptées à ce genre d’architecture ont réduit à sa plus simple expression le décor classique de cette construction.
Les occupants actuels (1974) tentent cependant d’allier au maximum les impératifs techniques qu’exigent leur profession et le respect de ces vieux murs qui les abritent aujourd’hui. L’escalier monumental qui dessert le premier étage est un des rares éléments à avoir conservé son aspect originel mais son délabrement actuel permet difficilement d’imaginer ce que fut la vie des descendants d’Ansquetil. Un petit pavillon, situé dans l’angle nord-est du château et actuellement en cours de restauration mérité d’être mentionné. S’il est un jour ouvert au public, le visiteur pourra atteindre la galerie de bois qui le couronne et admirer de là le vaste paysage qui s’offrait déjà aux yeux du guetteur du Moyen Age.
Les ruines d’un passé
Ce qui reste aujourd’hui de la forteresse médiévale nous a donc permis de placer le château de Châteaugiron aux grands moments de la Renaissance des forteresses bretonnes. En l’absence de documents figurés donnant une description du château avant la reconstruction du XVIIIe siècle, nous sommes contraints de n’émettre que des hypothèses sur une idée d’ensemble de la forteresse.
Il semble cependant qu’en règle générale les nouveaux bâtiments se soient greffés sur les anciens : le corps de logis s’appuie sur les murs qui soutenaient autrefois les courtines et le pavillon nord-est a pris vraisemblablement la place d’une tour d’angle. L’enceinte qui se développait entre le château et la ville est plus difficile à imaginer : si les restes découverts dans la rue du Porche se trouvaient vérifiés, l’importance de la forteresse serait sans nul doute accrue et Châteaugiron pourrait alors être comparé aux grands ensembles tels Vitré et Fougères qui gardaient les frontières de Bretagne.
Les jeux de l’histoire et le poids du temps ont enlevé au château une grande partie de sa splendeur et il reste muet aujourd’hui sur la vie qu’il a enfermé pendant tant de siècles. Deux anecdotes sont cependant parvenue jusqu’à nous : » le saut du poissonnier » était un des privilèges des barons de Châteaugiron. Il leur permettait d’obliger à sauter dans les douves, au lendemain de Pâques, les poissonniers qui avaient profité du carême pour accroître leurs bénéfices.
On raconte aussi que ces braves commerçants payaient des jeunes gens plus hardis pour goûter à leur place les plaisirs de la baignade. Une seconde coutume ordonnait au vassal qui avait pris femme dans l’année, de venir sur le pont pour chanter au Seigneur la » Chanson de la Bergère » et lui offrir une ceinture de laine de cinq couleurs différentes et longue de cinq aulnes. Autant de coutumes aimables qui contrastent agréablement avec les scènes de guerre et de pillage dont fut si souvent témoin le château.
Gérard Boulé. Janvier 1974
Depuis 1974, les choses ont évolué : le laboratoire qui occupait alors le château a laissé la place aux services municipaux et les efforts de restauration se sont poursuivis. L’aspect de l’ensemble s’est donc fortement amélioré et la forteresse participe, de par son cadre exceptionnel, à la vie culturelle de la petite ville de Châteaugiron.