Xavier GRALL, « pour les amis des grands vents et des oiseaux perdus »
« On ne naît pas Breton. On le devient, à l’écoute du vent, du chant des branches, du chant des hommes et de la mer. »
Journaliste …
Xavier Grall est né en 1930 à Landivisiau (Finistère). Il apprend le métier de plume à l’École de Journalisme de Paris. En 1961, il est secrétaire de l’hebdomadaire La Vie Catholique. Il continuera à collaborer avec ce journal (devenu ensuite la Vie) jusqu’à sa mort. A partir de 1967, il signe également des articles pour le quotidien le Monde puis travaille pour Hebdo T.C., les Nouvelles Littéraires, Croissance des Jeunes Nations, …
Écrivain, Essayiste, …
Son œuvre d’écrivain est variée : il s’intéresse aussi bien à James Dean (James Dean et notre jeunesse en 1958 aux Éditions du Cerf) qu’à François Mauriac (François Mauriac, écrivain en 1960) ou Arthur Rimbaud (Arthur Rimbaud, la marche au soleil en 1980).
Son séjour au Maroc (service militaire oblige …) puis en Algérie (il y est rappelé pendant la guerre d’indépendance en 1953 et 1954) lui inspire la Génération du Djebel qui sort en 1962. Son amitié avec le chanteur breton Glenmor l’incite à publier chez Seghers (1972), dans la célèbre collection Poètes d’Aujourd’hui, une étude sur son camarade de combat. Car c’est bien d’un combat qu’il s’agit : Xavier Grall a « redécouvert » son pays et lutte pour la reconnaissance de sa culture. « On ne nait pas Breton, on le devient, à l’écoute du vent, du chant des branches, du chant des hommes et de la mer. » En fait, ce sentiment d’appartenir à autre chose qu’un hexagone-laminoir lui est venu après son passage en Algérie : « j’ai fait la Guerre d’Algérie dans le soleil des loups, mes yeux se sont ouverts. Déchirante révélation. Du Djébel Amour à la Montagne Noire, que de similitudes ! Même tyran : l’État français. Même victime : le paysan. Même flic : le CRS. … Quand on a vu la France torturer, on ne peut mettre que des bémols à la chanson dont on nous avait bercé. »
La démarche de Grall n’est pas sans rappeler celle d’un autre Breton « tardif », Morvan Lebesque qui faisait aussi la comparaison entre les différentes « colonies » de la France éternelle. Grall écrit plus loin : « tu te découvres Breton comme il n’est pas permis de l’être. Et tu penses que ton pays, ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères, tu te regardes en face. Tu te décolonises : tu es Berbère, Kabyle, Breton. »
C’est dans cette optique qu’il écrira en 1977 le Cheval Couché, réponse cinglante au fameux Cheval d’Orgueil de Pierre Jackez Hélias où il dénonce avec force le « folklorisme fossilisant » de ce dernier. Je note, pour la petite histoire, que le malheureux film de Chabrol tiré du livre d’Hélias est nettement supérieur en capacité de fossilisation. A ce niveau-là, c’est du pur chef d’œuvre !
Romancier, Poête et … Breton.
Depuis 1973, Xavier Grall a quitté Paris pour s’installer « chez lui » près de Pont Aven. Il continue à collaborer, à distance, avec le Monde et la Vie mais c’est son engagement auprès des intellectuels bretons qui lui inspirera ses œuvres poétiques les plus émouvantes.
Citons, entre autres, :
La Sône des Pluies et des Tombes. Calligrammes. 1975
Rires et Pleurs de l’Aven. Ed. Kelenn. 1975.
En 1981, atteint d’une maladie pulmonaire qui l’épuise et qui l’emporte cette même année, il livre malgré tout à ses lecteurs Solo et autres poèmes que l’on peut considérer comme son testament.
Plusieurs œuvres seront éditées à titre posthume et récemment (en 2000) Mikaela Kerdraon lui a consacré un livre Xavier Grall, une sacrée gueule de Breton paru aux éditions An Here.
Signalons d’autre part que son étude sur Glenmor vient d’être rééditée aux éditions Coop Breizh. Le texte primitif est agrémenté de documents inédits sur le barde breton (grâce au travail d’Hervé le Borgne).
Enfin, pour tenter d’être complet, il faut mentionner la coopération entre Xavier Grall et le compositeur et guitariste Dan ar Bras. Ce dernier a mis en musique un certain nombre de poèmes de Grall dont « Allez dire à la ville » qui donnera son nom à un premier album paru en 1978. Un second album sera entièrement consacré aux textes du poète en 1992 chez Keltia Musique. Il s’appelle tout simplement « Xavier Grall chanté par Dan ar Bras »
ALLEZ DIRE A LA VILLE (Extraits)
Terre dure de dunes et de pluies
C’est ici que je loge
Cherchez, vous ne me trouverez pas
C’est ici que les lézards
Réinventent les menhirs
C’est ici que je m’invente
J’ai l’âge des légendes
J’ai deux mille ans
Vous ne pouvez pas me connaître
Je demeure dans la voix des bardes
O rebelles, mes frères
Dans les mares, les méduses assassinent les algues
On ne s’invente jamais qu’au fond des querelles
Allez dire à la ville
Que je ne reviendrai pas
Dans mes racines je demeure
Allez dire à la ville
Qu’à Raguénès et Kersidan
La mer conteste la rive
Que les chardons accrochent la chair des enfants
Que l’auroc bleu des marées
Défonce le front des brandes …
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LES MARINS (poème également mis en musique par Dan Ar Bras)
Les vieux de chez moi ont des îles dans les yeux
Leurs mains crevassées par les chasses marines
Et les veines éclatées de leurs pupilles bleues
Portent les songes des frèles brigantines
Les vieux de chez moi sont fils de naufrageurs
Leurs cranes pensifs roulent des trésors inouïs
Des voiliers brisés dans les goémons rageurs
Et luisent leurs regards comme des louis
Les vieux de chez moi n’attendent plus rien de la vie
Ils ont jeté les ans, le harpon et la nasse
Mangé la cotriade et siroté l’eau de vie
La mort peut les prendre, noire comme pinasse
Les vieux ne bougeront pas sur le banc fatigué
Observant le port, le jardin, l’hortensia
Ils diront simplement aux Janies, aux Marias
« Adieu, les Belles, c’est le branle-bas »
Et les femmes des marins fermeront leurs volets.
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CHARLES LE QUINTREC dans « les grandes heures littéraires de Bretagne » (Ed. Ouest France. 1978) :
Xavier Grall s’est révélé aux lettrés et aux Bretons par des romans, des essais et des poèmes. Dans l’immense concert des voix nouvelles, sa voix fut tout de suite reconnue. Elle est, effectivement, reconnaissable entre toutes. C’est une voix âpre, une haute voix de prose à la recherche de la poésie comme d’une patrie. Et même en prose, c’est une authentique voix de poète. (…) Xavier Grall va sa route. Sa route bretonne. Parfois, il rencontre Glenmor, le barde imagine dans le coeur de tous les Bretons … mais toujours son combat est celui d’un solitaire et toujours l’objet de ce combat n’est pas autre chose que la Breizh éternelle.
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GRALL : IN MEMORIAM
Chanson de Glenmor enrégistrée au moment du décès de Xavier (on pourra lire, sur ce même site, dans les pages « entretien avec Glenmor » le récit des circonstances qui ont entouré la rédaction et l’enregistrement de ce texte)
La cause de nous par quoi tout se délivre
Sur le pas d’un hiver qui n’en finira plus
A l’aube s’est fanée sous l’étalement du givre
Les temps nous ont mandés aux mortelles tenues
Le drame du jour par quoi tout se déchire
Et qui mène à l’aboi l’âme torse toute nue
A l’aube s’est joué sur le tréteau grelé du pire
Clos de rideau par l’endeuil au dieu cornu
La cause de nous par quoi tout s’enracine
De graine en moisson de glèbe en maison
A l’aube s’est ridée courbe et voute l’échine
Les temps nous ont menés aux stériles saisons
Le drame du jour par quoi tout s’exaspère
Et qui donne au matin tout le bleu du diamant
Sous le dôme a glissé la plus froide lumière
En épure de gris s’y profile un gisant
La cause de nous par quoi tout se déchaine
Sur le royaume tonant de tout ancien jour
A l’aube s’est coulée et le temps ne ramène
Que les cris et les pleurs sous le vol du vautour
Le drame du jour par quoi tout se dépose
Quand la voile bombée ne mène à nul port
De deuil a drapé l’envers et l’endroit des choses
Et ce maigre gisant n’est que barde qui dort